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Sur le visage de Sophia Holland, amie d'Emily, la vie écrit ses textes lumineusement contradictoires – comme le vent sur le feuillage du tremble. Dieu soudain froisse comme du papier le chef-d’œuvre de ce visage adolescent. Apprenant que son amie va mourir, Emily demande à la voir. La mort est une potière qui fait le travail à l'envers. Emily regarde l'argile du corps dont le souffle divin se retire. Cette vision fait d'elle, à jamais, la gardienne des vies évanouies, la receleuse de l'invisible. L'âme de Sophia, comme une émeraude, tombe dans l'écrin de son cœur rouge.
Enfant, Emily a entendu un pasteur – foudroyé par sa propre éloquence comme un cavalier désarçonné par une ruade de sa monture – s'exclamer : « Le bras du Seigneur est-il si court qu'il ne peut sauver personne ? » Le pasteur avait ensuite platement répondu à sa propre question, sans pouvoir éteindre le feu allumé dans un crâne d'enfant. Sophia portée en terre, Emily entre à pas menus dans le couvent d'une dépression. Pour l'en guérir ses parents l'envoient un mois chez sa tante Lavinia. Elle y trouve pour la seconde fois une paix, même si la leçon de Sophia est inoubliable : à chaque seconde, regarde la fin du monde.
Le néant et l'amour sont de la même race terrible. Notre âme est le lieu de leur empoignade indécise.